L'actus

du Pro Bono

Plateformes de l’engagement solidaire : que transforment-elles ? - partie 2 : le contenu

Pro Bono Lab et LepC ont organisé, le 31 mai 2022, un évènement autour des plateformes d'engagement solidaire. Vous n’y étiez pas ? On vous raconte - partie 2.
Manon Philippe
29 juin 2022

Contexte dans lequel se déroulent les échanges

Nous ne rappellerons jamais assez que le monde associatif est composé de près d’1,5 millions d’associations. Parmi elles, 10,6% sont employeuses (1). Les autres sont seulement composées de bénévoles. 22 millions de Français.es sont bénévoles en France, et près de 12,5 millions le sont en associations. Elles et ils s’engagent ponctuellement ou plus régulièrement (2).

Prenons également le temps de définir la notion d’engagement, puisque nous allons y avoir recourt tout au long de notre débat. L’engagement est défini de manière précise dans le monde associatif (proposition de définition de Lionel Prouteau) : l’engagement auprès d’une association implique une inscription dans la durée et de faire sien le projet associatif. "Tout bénévolat n’est pas forcément un engagement [...]. Des participations ponctuelles peuvent difficilement être considérées comme de l’engagement. Cependant, elles peuvent aussi anticiper sur de futurs engagements (3)."

Notons aussi que le monde de l’entreprise connait de fortes transformations. Promulguée en mai 2019, la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) permet aux entreprises de montrer que les enjeux environnementaux et sociaux sont aussi au cœur de leur projet (et non plus la seule recherche du profit). A côté de cette impulsion légale, la demande de plus en plus pressante des citoyen.nes de trouver du sens dans leur travail (4), et les mouvements sociaux et environnementaux (Rapport du GIEC, Désobéissance Civile, Gilets Jaunes, etc.) poussent les entreprises à se transformer si elles veulent continuer à exister.

C’est dans ce contexte que nous avons mené nos échanges - à visionner en replay ici.

Nous vous rappelons ci-dessous le fil rouge de l’intervention qui a été menée :
- Introduction du sujet
- Ouverture du débat avec Martin Silvestre et la présentation de la plateforme Vendredi
- Rebond de Cédric Laroyenne sur le besoin de l’entreprise
- Confrontation à la réalité associative avec Fatem-Zahra Bennis
- Echange autour du juste prix de l’intermédiation
- Conclusion et appel à l’action : quelle priorité devrait être la nôtre demain pour redonner sa place à chacun.e ?

Les enseignements majeurs que nous retenons des échanges

1. La voix de la plateforme

> La plateforme ne peut pas tout : c’est un moyen et non une fin en soi
Nous retenons l’intention qui est celle de la plateforme Vendredi et que Martin nous partage : à savoir faciliter l’accès à un engagement associatif et donner accès à du contenu RSE. Martin nous rappelle que la plateforme ne peut pas tout : c’est un moyen et non une fin en soi. Elle ne se substitue pas au travail que les associations effectuent pour assurer une relation de qualité. La plateforme est un moyen, un vecteur de sensibilisation.

> De la gestion des carrières ponctuelle à la raison d’être même de l’entreprise
Martin pointe du doigt un phénomène intéressant. Dans la décennie que nous traversons, l’engagement des collaborateur.rices au sein des entreprises est passé de la gestion de quelques carrières à une approche généralisée de l’engagement. « Avant », l’entreprise engageait quelques salarié.es pour des raisons RH bien spécifiques, et l’engagement pouvait être long (2 ans). Aujourd’hui, l’entreprise semble tendre vers une stratégie différente : elle veut (et doit, parfois) engager l’ensemble de ses salarié.es sur des temps très courts (faire du volume).

2. La voix de l’entreprise mécène

> Il y a une transformation des finalités de l’engagement
Cédric nous fait part de plusieurs transformations qui l’interrogent.
D’abord, celle d’une dépriorisation de l’intérêt général au profit de l’engagement des salarié.es : « En Conseil d’Administration, on ne me demande pas l’impact que j’ai eu sur l’intérêt général, mais le nombre de collaborateurs que j’ai engagés. Or dans mes statuts, il est noté que je dois nourrir l’intérêt général. »

Cela pose la question du pourquoi de l’engagement des collaborateurs et de cette notion même d’engagement : doit-on parler de salarié.e engagé.e lorsque celui-ci passe une demi- journée sur le terrain ?

Cédric se demande si nous ne sommes pas en train de nous tromper sur le discours que les entreprises portent en interne : il y a une injonction plus forte à mesurer, avec des KPIs, le nombre de « salarié.es engagé.es » (avec un objectif privilégié de 30% dans les grandes entreprises), plutôt que de mesurer, d’observer des indicateurs d’impacts sur l’intérêt général comme : le taux de réinsertion ou d’embauche des jeunes en QPV ou en réinsertion au sein de l’entreprise, ou le taux de réduction d’une empreinte carbone qui concerne l’entreprise directement et la met en responsabilité.

> Le rôle de l’entreprise face aux enjeux de société
L’entreprise peut sensibiliser (et doit certainement) participer à la sensibilisation des enjeux sociétaux de notre monde : c’est toute la subtilité des fondations d’entreprise ou des fonds de dotation dont les statuts juridiques sont ancrés dans l’intérêt général (5).

L’impact recherché doit se situer d’abord sur le terrain auprès des bénéficiaires, puis auprès des salarié.es. Cédric rappelle trois choses : le véhicule c’est l’entreprise, un des outils peut être une plateforme, mais la finalité sur laquelle nous ne devons pas tergiverser, c’est l’intérêt général. Et celui-ci est incarné par les associations qui agissent au quotidien et en toute situation (la crise COVID- 19 nous l’a bien rappelé).

> Construire un engagement pérenne
C’est un des élément clef. Si elle veut avoir un impact sur l’intérêt général, l’entreprise doit s’engager de manière pérenne auprès d’acteurs associatifs, instaurer la confiance afin de pouvoir créer une relation sur le temps long.

3. La voix de l’association

> Une « check list » et des formats d’engagement qui ne sont pas à l’image des besoins associatifs
« Il faut que ça ne soit pas trop loin, pas trop long, et que les salarié.es aient eu l’impression d’avoir changé le monde à la fin de leur journée. On se retrouve à devoir gérer de la prestation pour engager les collaborateursselon une check list composée des contraintes de l’entreprise. »

Fatem-Zahra pointe du doigt un réel renversement des rôles : c’est l’association qui vient répondre aux besoins de l’entreprise. Ce renversement ne prend plus en compte ni le cœur de métier de l’association, ni le temps qui lui est nécessaire pour organiser de telles rencontres. Cette nouvelle relation n’apporte pas non plus les moyens financiers à l’association là où les plateformes sont, elles, financées par ces mêmes entreprises.

> Le besoin associatif n’a pas changé : les financements sont le nerf de la guerre
Fatem-Zahra nous rappelle que les besoins des associations, eux, n’ont pas vraiment changé depuis ces cinq dernières années. Le besoin financier est essentiel, viennent ensuite les autres besoins : compétences, temps, don de matériel, etc. C’est dans le cadre d’une relation partenariale et financière de long terme (par ailleurs créatrice de valeur, nous rappelle Fatem- Zahra) qu’une association peut être prête à faire du sur-mesure pour engager les salarié.es de son partenaire. La qualité de la relation est un essentiel, et l’outil plateforme ne la remplace pas ni ne la crée.

Le point de vue de Pro Bono Lab

Nous devons prendre conscience des contraintes des entreprises, des fondations, des plateformes et des associations. Ce que nous percevons aujourd’hui est un inversement de la valeur : l’entreprise « consomme » l’engagement associatif comme un bien ou un service de marché. Rappelons que le rôle des associations d’intérêt général est bel est bien de répondre à des enjeux sociétaux. S’engager en tant qu’entreprise, c’est peut-être déjà comprendre le besoin associatif, le questionner, en prendre soin, et ensuite y allouer des moyens. Les entreprises ne pourront se défaire d’une relation humaine avec les associations, absolument essentielle pour créer de la valeur sociétale.


Pourquoi avoir choisi d'aborder ce sujet et comment nous nous y sommes pris ?

Consulter la première partie des échanges

(1) Vivianne Tchernonog et Lionel Prouteau, 2019, Les Associations : état des lieux et évolutions, p. 5 (synthèse de l’ouvrage Le paysage associatif français – mesures et évolutions publié chez Dalloz Juris Association en mai 2019)

(2) La Fonda, 2019, Le bénévolat aujourd’hui et demain, compte-rendu du colloque

(3) Ibid, p. 8

(4) Rapport Harris pour le Mouvement Impact France, 2022, Les Française.es et les entreprises engagées

(5) Et donne donc lieu à une défiscalisation

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