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du Pro Bono

L’engagement, un levier d’insertion professionnelle pour les jeunes ?

L’engagement est-il un levier d’insertion professionnelle ? Nous nous sommes posés la question le 12 octobre 2023 en compagnie d’Article 1, l’AFEV, Lille Avenirs et d’Hachimia, jeune étudiante et entrepreneuse engagée. Et la réponse penche plutôt vers le « oui, mais »…On vous explique pourquoi.
Manon Philippe
23 oct. 2023

L’engagement un levier d’insertion professionnelle ? C’est la question que nous nous sommes posée le 12 octobre dernier en compagnie de : 

-Marie Auzannat, responsable engagement d’Article 1 

-Sébastien Bauvet responsable recherche d’Article 1 

-Nadia Nait Takourout, responsable Apprentis solidaires de l’AFEV 

-Karine Bugeja, directrice générale, Lille Avenirs 

-Hachimia Aboubacar, étudiante et entrepreneuse 

I-Zoom sur l’engagement des jeunes  

Les chiffres de ces dix dernières années montrent une tendance à l’augmentation de l’engagement des jeunes. On constate même un équilibrage des ratios entres les catégories les plus jeunes et celle des 65 ans et plus entre 2010 et 2013 avec une très nette diminution du bénévolat associatif des 65 ans et plus entre 2010 et 2023 (de 38% à 25%), et une progression de l’engagement des 15-34 ans sur cette même période ( de 16% à 25%). 

Les jeunes s’engagent davantage, mais le font différemment. Ils sont désormais multi-identités constate Karine, directrice générale de Lille Avenirs. Qu’il s’agisse de leur engagement ou de leur travail, ils souhaitent faire plusieurs choses à la fois, s’engager sur des actions associatives, mais aussi garder du temps pour étudier, pour leurs loisirs. Nous ne sommes donc plus dans une logique d’engagement total comme on pouvait la concevoir autrefois. Cela suppose une adaptation des associations qui sont souvent à la recherche d’engagements longs. « On voit que pour les jeunes s’engager, ce n’est plus uniquement être bénévole en association. Cela repose sur leur propre comportement, le fait de mieux consommer, boycotter des marques, de créer des évènements informels. » remarque Marie, responsable engagement chez Article 1.  

Enfin, si Nadia observe une hausse du nombre de jeunes engagés sur les programmes de l’AFEV, elle rappelle que certains aspects viennent freiner l’engagement des jeunes notamment la précarité, la peur de l’engagement, ou encore l’accessibilité de l’information : « Nous avons besoin de rendre plus lisible l’engagement pour faire en sorte que les jeunes s’engagent de manière consciente. »  

II-Faut-il faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle ?  

La réponse est loin de faire consensus et pose plusieurs questions sous-jacentes.

L’engagement comme levier d’insertion professionnelle, fonctionne-t-il pour tous les publics ? 

L’engagement semble corrélé à des situations sociales plutôt favorisées :  55% des diplômés supérieurs sont engagés dans une activité bénévole, contre 30% des personnes non diplômées. Ce sont des disparités que l’on retrouve au sein même de certaines filières, avec 59% des étudiants en école d’ingénieur engagés, contre 22% des étudiants en économie ou encore 19% de étudiants en  lettre. « Ce que ces chiffres montrent c’est qu’il existe des lieux et des situations qui favorisent l’engagement, avec les effets cumulatifs qui viennent avec. Plus on s’engage tôt, plus importantes seront les facultés d’engagement, les bénéfices issus de ces expériences, la capacité à les valoriser » constate Sébastien. En amont cela vient poser la question de l’accès à l’engagement et en aval celui de la valorisation de ses expériences d’engagement. « L’idée de faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle est trop complexe pour en faire un mécanisme total,  cependant il y a un vrai consensus sur l’acquisition de compétences enclenchée par l’engagement ».  

Pour Karine, directrice de Lille Avenirs,  le premier critère pour que cela fonctionne pour les publics plus éloignés de l’emploi, c’est déjà d’en avoir envie : «  Cela demande beaucoup plus d’efforts.  Il faut savoir adapter les modalités, pour  que l’engagement fonctionne aussi pour des jeunes qui pensent ne rien avoir à apporter et qui n’ont pas confiance en eux ». Une réalité à laquelle s’est adaptée l’équipe du programme Génération Engagée proposé par Lille Avenirs. Ce dispositif,  à destination de jeunes décrocheurs alterne entre temps d’engagement en service civique et temps de cours de formation au sein du lycée professionnel. « Au début, nous demandions aux jeunes d’être présents 10h par semaine en associations, nous avions un décrochage important. Cela venait renforcer le sentiment d’échec des jeunes lorsqu’ils n’y parvenaient pas. La deuxième année nous avons testé un format un peu différent, nous proposions des missions courtes, en format collectif. Cela a tout de suite mieux fonctionné ! »  

L’AFEV est persuadé de l’impact de l’engagement comme levier d’insertion professionnelle, quel que soit les publics et profils des jeunes. « C’est certain, tous n ’ont pas le même vécu, certains jeunes font rapidement le lien entre engagement et parcours professionnel, quand d’autres ne vont pas le conscientiser. L’impact peut prendre du temps. » nuance Nadia.  

Quels travers et quels risques à faire de l’engagement un outil d’insertion professionnelle  ? 

L’engagement reconnu a posteriori (par la valorisation des compétences et de l’expérience d’engagement) peut être facilitateur dans l’insertion professionnelle. Cependant institutionnaliser l’engagement en ferait un outil purement utilitariste mis au service des politiques de l’emploi . « Cela peut poser un vrai problème d’éthique, il y a une crainte légitime par rapport à l’essence de l’engagement. Comment éviter de provoquer un engagement artificiel « en vue de » ? » se questionne Sébastien. 

Pour Karine, directrice de Lille Avenirs, il faut être clair sur l’intention de départ :  On ne fait pas semblant de faire l’engagement avec un objectif premier qui serait l’insertion professionnelle. La proposition de départ c’est un engagement où les jeunes font ce qu’ils souhaitent, où ils disposent d’espaces de liberté et où l’on renforce leur sentiment de citoyenneté. « Si l’on situe l’engagement dans une perspective toujours utilitariste, nous risquons d’avoir in fine une génération désengagée où l’engagement sera juste une case à cocher pour obtenir un bon CV, accéder à un emploi. Or l’engagement c’est avant tout prendre sa place de citoyen».  

Enfin, d’un point de vue institutionnel, les risques d’un tel dévoiement sont aussi bien présents avec la création d’emplois déguisés susceptibles de créer de nouvelles inégalités comme ont pu nous le montrer certaines dérives du service civique.  « J’ai réalisé un service civique au tout début de son existence, c’est une excellente expérience mais les difficultés pour éviter qu’il ne soit pas utilisé de manière détournée sont réelles. » met en garde Marie. Karine souligne également un équilibre difficile à trouver : c’est un moyen pour certains jeunes d’accéder à un revenu, bien que modeste, car c’est un contrat plus accessible qu’un emploi. Côté association, l’enjeu est de bien différencier mission d’engagement/service civique et emploi. Dans ces deux cas de figures, on peut perdre la motivation première de l’engagement.  

III-Comment faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle pour les jeunes ?  

L’humain, la confiance et le collectif : de puissants moteurs d’engagement et de réussite  

« La pierre angulaire du programme c’est l’engagement solidaire, la valorisation du jeune. Pour que cela fonctionne il faut un accompagnement humain». Le dispositif Apprentis solidaires de l’AFEV permet  à des jeunes éloignés du milieu de l’emploi s’engager via un service civique. Pendant 6 mois, ces derniers sont mobilisés sur des missions de solidarité très concrètes, sont formés, réalisent des stages, rencontrent des professionnels. A l’AFEV, chaque jeune est accompagné par un professionnel, une relation de confiance se crée. Ces liens humains sont essentiels pour connaitre et comprendre les freins périphériques des jeunes (précarité, santé, logement…). L’accompagnateur travaille ensuite avec le jeune sur ces sujets ou l’orientent vers d’autres structures appropriées.  

Le programme Maison d’Article 1 propose de lever certains de ses freins, notamment celui du logement et de l’isolement social. Une quarantaine d’étudiants boursiers sont accueillis dans des résidences étudiantes, des évènements conviviaux, sont organisés, les jeunes peuvent s’engager sur des projets solidaires à l’échelle locale.  « La première condition, c’est de ne pas être moralisateur sur la question de l’engagement. Nous avons conscience de répondre via ce programme avant tout à la problématique du logement, et de faire face à des jeunes qui ont des difficultés financières ou sociales. On s’adapte et on valorise le niveau d’engagement qu’ils sont en capacité de donner ».  

Valoriser les jeunes, c’est leur montrer qu’on leur accorde de la confiance. A Lille Avenirs, les jeunes construisent leur propre projet en autonomie avec la méthode Start Lab. L’été dernier, certains d’entre eux ont produit un festival de musique en plein air en deux mois, avec un budget alloué. Le média jeune de la mission locale est entièrement géré par les jeunes du choix des sujets à la rédaction. Cette confiance doit être incarnée par les conseillers , qui se mettent en position de soutien des jeunes plus qu’en accompagnateurs. « C’est une façon différente d’appréhender l’accompagnement, on se met à niveau des jeunes, plutôt qu’en position haute. Les conseillers sont des facilitateurs. » note Karine Bugeja. 

Le collectif est également un puissant moteur d’engagement et de réussite, les jeunes s’organisent, créent des groupes de discussions et de solidarité entre eux. Ils se soutiennent et trouvent de l’aide auprès de leurs pairs. « J’ai pu acquérir et développer des compétences grâce à l’engagement, je suis plus autonome, j’ai plus confiance en moi mais c’est parce que j’ai fait mon service civique dans la bonne association. Pour que les jeunes s’engagent, Il faut une structure qui le permette, par les humains qui la constituent, la méthodologie d’accueil et de travail, la communication entre les groupes de jeunes» témoigne Hachimia Aboubacar étudiante engagée et entrepreneuse. 

 Enfin, replacer le jeune au cœur du projet semble indispensable. Hachimia déplore le fait que le jeune devienne une « marchandise » dans certaines associations. « En tant que jeune engagée et professionnelle de l’associatif, ce qui ressort souvent lorsque j’entends parler des projets pour les jeunes c’est le mot subvention, ou encore des paroles anodines comme « il nous faut des jeunes ». L’engagement n’est déjà pas un gage absolu de réussite professionnelle, mais ce discours et ces pratiques viennent freiner les bienfaits de l’engagement. »  

Valoriser l’engagement  

 Le développement de compétences est un des enjeux forts de l’engagement. D’après Sébastien Bauvet, responsable de recherche chez Article 1, ces « softs skills » permettent  de compenser certaines inégalités d’accès à d’autres instances.  

Valoriser et reconnaître l’engagement cela passe par fournir aux jeunes des espaces de réflexion qui leur permettent de réaliser des compétences qu’ils ont développées. L’AFEV valorise quotidiennement les réussites des jeunes et à la fin de leur service civique avec une cérémonie de remise d’un diplôme, le programme Maison (Article 1) propose aux jeunes des ateliers de valorisation de leur engagement. La valorisation des softs skills est mis en œuvre via Job Ready (Article 1), un programme d’accompagnement à la reconnaissance et à la valorisation des compétences. On y apprend à valoriser les expériences les plus anodines, précaires, ou hors organisation. La valorisation des softs skills vient ainsi neutraliser « l’étiquette symbolique » des expériences note Sébastien. Un badge numérique de softs skills, est délivré aux jeunes. Article 1 est également impliqué dans le développement d’un passeport engagement avec d’autres associations. Cependant, tous les dispositifs initiés notamment les tentatives de labellisation n’ont pas fonctionné, soit car ils ne sont pas connus ou parce qu’ils ne répondent pas au besoin initial des personnes engagées. 

Axes d’amélioration 

« Beaucoup de dispositifs ne vont pas jusqu’au bout : le jeune s’est formé, il a suivi un programme, et cela s’arrête. J’aimerais que le lien puisse perdurer, que les associations pensent aux jeunes lorsqu’elles ont par exemple des opportunités d’emploi dans leur structure » regrette Hachimia. 

Le bénévolat est une expérience positive qui peut contribuer à l’insertion professionnelle et à prendre sa place de citoyen, cependant « l’après » pose question : comment aider les jeunes à développer leur réseau professionnel ?  Comment ne pas laisser aux jeunes bénéficiaires un sentiment d’abandon à la fin d’un programme d’engagement et d’insertion professionnelle ?  

Replay de l’évènement Youtube ici  

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