L'actus

du Pro Bono

L'engagement dans les territoires ruraux

Pour ce dernier webinaire du semestre, nous avons souhaité nous pencher sur la question de l'engagement en ruralité.
Manon Philippe
8 avr. 2024

Présentation des intervenants  

Jean Baptiste Baud est directeur des relations publiques de Familles rurales, association nationale reconnue d’utilité publique. Familles rurales est le premier mouvement familial associatif de France, avec plus de 2000 associations et 12 000 familles adhérentes. Il couvre différents services sur tout le territoire y compris en milieu rural, qui vont de l’aide à domicile, aux crèches, aux centres de loisir, à la mobilité solidaire ou encore aux actions culturelles. 

Bertrand Coly a un parcours étroitement lié à l'éducation populaire. Il a travaillé en tant que responsable au sein du MRJC, le mouvement régional de jeunesse chrétienne. Ancien représentant du forum français de la jeunesse au CESE, Bertrand a contribué à la rédaction d’un avis sur la place des jeunes dans les territoires ruraux. Bertrand est désormais retourné sur son territoire natal dans le sud de l’Indre, dans le parc naturel régional de la Brenne où il a mis en place une Maison Familiale rurale, il travaille sur la place des jeunes sur ce territoire. 

Mathieu Angotti travaille à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Il est conseiller au sein de « Territoires en commun, territoires d’engagement », un programme accompagnant les collectivités, dans la mise en place de projets d’engagement de leurs habitants. L’ANCT a un véritable rôle de “fabrique à projets”, elle accompagne les collectivités, leur permet de concrétiser leurs projets, en leur facilitant l’accès à différentes ressources: ingénierie technique et financière, partenariats, subventions. La politique publique consacrée aux Territoires & Ruralités a pour objet de réduire les inégalités entre les territoires. Pour mettre en œuvre cette politique publique, l’ANCT intervient auprès des territoires ruraux via la coordination de l’Agenda rural (181 mesures pour la ruralité, lancée par le gouvernement en 2019 ; aujourd’hui nouveau plan France ruralités qui prend la suite de l’Agenda rural) qui constitue la feuille de route du gouvernement en faveur de la ruralité. 

 Une ou « des ruralités » ? 

Il y a toujours eu une vision assez large, un flou autour du terme « ruralité », qui a fait l’objet de nombreux débats. L’INSEE en avait proposé une définition en 2020, qui limitait la ruralité à tout ce qui se situait en dehors des villes, une définition qui sous-estime la complexité de ces territoires. On considère d’après cette conception, que 88% des communes, et un tiers la population fait partie des zones rurales. 
Jean-Baptiste Baud (Familles Rurales) a toutefois tenu à rappeler de la diversité de la ruralité - on parle des ruralités -  et des territoires. Certaines zones rurales sont touristiques, d’autres plus résidentielles, les réalités sont plurielles, et les problématiques qui en découlent, très différentes : il faut en permanence s’adapter. 

Bertrand Coly (Maison familiale de la Brenne) confirme la difficulté à définir ces territoires et à les rendre visibles. 
Ces questions se posent pourtant au sein même du paysage rural : comment s’organiser entre des territoires hétérogènes, du village de 5000 habitants aux communes de quelques centaines d’habitants ? Par ailleurs, il rappelle la persistance d’une « diagonale du vide » conservant de très faibles densités, et dont certaines problématiques continuent de s’aggraver.   

Enfin, Mathieu Angotti (ANCT), relève certaines spécificités propres aux territoires ruraux. Il remarque notamment que la plupart des élus locaux du monde des ruralités ne sont pas des professionnels de la politique. Leur mandat se rapproche d’un engagement associatif contrairement aux professionnels de la politique des grandes métropoles. De leur côté, les agents des territoires ruraux sont assez peu nombreux, moins outillés et font face à des problématiques complexes sur les questions d'eau, d'énergie, de mobilité. 


Etat de l'art de l'engagement dans les territoires ruraux

L’avis du CESE sur la place des jeunes dans les territoires ruraux, dresse un constat surprenant : le bénévolat est plus fréquent chez les jeunes des milieux ruraux que chez les jeunes habitants des villes (18% en zone rurale contre 13% en zone urbaine). 


 « Il y a moins d’acteurs en milieu rural et quand on veut qu’il se passe quelque chose, il y a un réel besoin de personnes investies, qui portent les projets. Cela explique que l’engagement en milieu rural soit plus important. C’est un constat qui se vérifie notamment dans les clubs de sports et certaines pratiques familiales. » Bertrand Coly 

 
Cette culture de l’engagement est le fruit d’une volonté historique, celle de s’appuyer sur les jeunes pour porter la révolution agricole. L’engagement était perçu comme un moyen de favoriser l’ouverture, et de désenclaver les territoires. On a alors beaucoup misé sur la jeunesse, et les associations d’éducation populaire pour mailler et structurer les territoires ruraux. Cette construction imprègne aujourd’hui encore ces territoires même si on constate une certaine perte de ces outils et un désengagement de l’état regrette Bertrand Coly.  

Jean Baptiste Baud, directeur des relations institutionnelles de Familles rurales confirme qu’il y a « une réelle tradition d’engagement, d’entraide, dans les milieux ruraux, notamment depuis la sortie de la 2nd guerre mondiale. » Familles rurales est d’ailleurs né de ce mouvement !  

Quelques points de vigilances, cependant :

Alors même que l’on s’est appuyé sur les jeunes pendant de nombreuses années cela est aujourd’hui de moins en moins vrai. Bertrand remarque que les responsables associatifs engagés sur les territoires ruraux sont en moyenne plus âgés que sur l’ensemble des territoires français confondus, qu’ils ont du mal à passer le relai aux jeunes.   

Le rapport du CESE a également pu noter une forme de distance et de défiance entre les jeunes et la politique, un éloignement vis-à-vis de l’ensemble des institutions nationales et européennes. La participation globale des citoyens ruraux sur les élections reste stable, cependant les jeunes ruraux se tournent de plus en plus vers les partis d'extrême droite. « L’engagement politique des citoyens est mis à mal. Les territoires éprouvent des difficultés à mobiliser des élus locaux, à élire leurs maires… » remarque Jean Baptiste Baud, Familles rurales. Un constat que partage Mathieu Angotti de l’ANCT, selon lui,  les communautés de communes, intègrent de plus en plus de communes, de compétences et de responsabilités. Cela prend le pas et a des conséquences sur la gestion de la vie quotidienne des habitants en ruralité. « Ce n’est pas sans conséquences, puisque cela nourrit une distance, voire une méfiance vis-à-vis non seulement des institutions nationales mais aussi aux institutions locales».  

Mais aussi des opportunités :

Jean Baptiste note que les zones rurales ont gagné en attractivité. Si beaucoup de jeunes sont mobiles et partent faire leurs études en zone urbaine, la crise sanitaire a rebattu les cartes, avec de nouvelles installations de jeunes et néo-ruraux sur ces territoires. De nouvelles formes d’engagement peuvent ainsi être suscitées par ces jeunes qui choisissent de rester sur leur territoire d’origine. L’engagement dans les gouvernances associatives demande beaucoup d’investissement et reste moins attractif pour les jeunes qui se tournent vers des formes d’engagements plus flexibles.  

Comment favoriser l’engagement dans les territoires ruraux ?  

Familles rurales favorise l’engagement des jeunes dans les territoires ruraux via la mise en place et l’animation d’un groupe de jeunes, à qui elle donne des opportunités d’engagement, ou encore des appuis financiers pour la construction de projets. Le mouvement familial soutient également des projets associatifs dans le cadre de son fonds de dotation, des projets indispensables à l’animation et au dynamisme de ces territoires. Jean-Baptiste souligne ainsi le rôle des associations sur les territoires ruraux. Sans leur action, de nombreux services et possibilités de s’engager n'existeraient pas. Les associations peuvent également contribuer à la mise en place de formes d’engagement innovantes et adaptées aux attentes des habitants. 

Par ailleurs, repenser les espaces à destination des enfants et des jeunes pour favoriser l’engagement est un enjeu. Dans le cadre du rapport du CESE, une des solutions proposées était de créer en parallèle des missions locales des « campus projet » pour accompagner les initiatives, les engagements des jeunes.  
« Les tiers lieux sont aussi intéressants, ils ont cette capacité, à créer des espaces sur un bassin de vie, de l’accompagnement pour l’ensemble des habitants, de croiser les publics. » note Bertrand Coly.    

Le réseau Familles rurales soutient d'ailleurs activement le développement de ces espaces. « Les tiers lieux sont des lieux innovants, d’inspiration citoyenne, qui sont co-construits par les habitants et par des bénévoles. Ce sont des lieux hybrides qui peuvent combiner des repair cafés, des points d’appui numérique. Ils apportent des services qui n’existent pas par ailleurs, mais ils constituent aussi et surtout un lieu de sociabilisation qui permet aux jeunes de s’impliquer. » Jean Baptiste Baud, directeur des relations institutionnelles, chez Familles Rurales . 

 Côté mairie et agents publics, Mathieu Angotti, de l’ANCT dresse plusieurs constats à partir du programme « Territoires en commun, territoires d’engagement » :  

-Ce sont les projets très concrets et opérationnels qui fonctionnent le mieux et suscitent le plus d’enthousiasme, par exemple l’agencement d’une mairie, d’une médiathèque. Cela peut aller de missions courtes à des cycles d'engagement plus longs. La qualité du moment vécu et la convivialité ont toute leur importance. 

- Il faut qu’il y ait un sentiment d’impact dans les processus participatifs ou dans les diverses formes d’engagement. Cela vient poser la question de la valorisation de l’engagement et des formes de rétributions (non financières) qui pourraient être mises en place. 

- Cela peut sembler évident, mais il est nécessaire d’aller sur le territoire, et sur les lieux fréquentés par les habitants pour aller à leur rencontre et les engager.  

Enfin, Bertrand identifie un levier formation indispensable pour favoriser l’engagement dans les territoires ruraux : « Le premier levier est celui de la formation des élus et des agents des collectivités. Les territoires ont de grandes difficultés à faire travailler élus et responsables associatifs sur des projets laissant des marges de manœuvre aux habitants et aux associations. ». Certains projets sont regardés avec défiance par les responsables politiques, qui les voient comme une volonté de faire « contre-pouvoir ».   

 

De nombreux freins à l’engagement des territoires persistent, comment les lever ?  

 Le premier frein évoqué par l’ensemble des intervenants est celui de la mobilité.  

 « Il y a bien sûr la question des infrastructures de transport, du train notamment. De ce point de vue, les choses n’évoluent pas dans le bon sens, certains territoires sont en grande difficulté. » se désole Bertrand Coly. 

 De plus, la fusion de nombreux clubs de sport, ou d'associations, qui ne sont plus attribués à une seule mais à plusieurs communes a renforcé l’éloignement des espaces d’engagement. 

Bertrand remarque toutefois l’émergence de quelques initiatives, assez simples à mettre en place. Le rapport du CESE préconisait par exemple de doter les jeunes de territoires les plus isolés de vélo électriques. Des plateformes mobilités avec l’outillage adéquat peuvent également être pertinentes. 

La formation est un autre point de vigilance à garder en tête : « Les outils d’éducation populaire, notamment la capacité à animer une rencontre, à faire exprimer les idées se dégradent, la formation est en baisse. ». Il rappelle que l’engagement est un « travail » de long terme, qui s’acquiert dès la petite enfance. De ce point de vue, l’éducation du primaire et du secondaire, et les différentes réformes de l’éducation nationale viennent impacter la découverte et l’attractivité de l’engagement. 

Mathieu Angotti insiste sur les enjeux d’interconnaissance dans les milieux ruraux et de formation / sensibilisation à l’accueil des émotions. « Dans les petites collectivités les personnes se connaissent, cela peut faciliter la mobilisation, car elles vont se sentir moins intimidées. Mais cela peut rendre les choses plus complexes, à cause de difficultés relationnelles ancrées dans le temps, des gaps générationnels, ou encore des cercles qui ne se parlent pas». Il y a également un effet d’affichage, en contribuant dans un espace participatif, il faut assumer de l’occuper, de prendre la parole, s’exprimer devant des personnes qui vont potentiellement en parler à votre entourage proche. Cette notion doit être prise en compte et implique des adaptations en termes méthodologie.  

Pour conclure, Jean Baptiste Baud, de Familles rurales se montre optimiste : « L’inquiétude sur l’engagement dans les territoires ruraux ne me paraît pas fondé. Il y a un grand potentiel d’engagement, une forme de débrouille qui caractérise les zones rurales qui ont l’habitude de fonctionner en communauté. » En donnant des opportunités d’engagement, les associations peuvent créer les conditions d’une dynamique indispensable pour faire coopération face aux grands défis sociaux et environnementaux actuels.  

Pour aller plus loin

 

 
 

 

 

 
 

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