L'actus

du Pro Bono

Regards croisés entre Jobready, l’APEC, Passerelles & Compétences et Vivendi Create Joy !

Comment identifie-t-on une compétence ? Comment la valorise-t-on ? L’idée d’un référentiel commun a-t-elle un intérêt ?
Manon Philippe
25 juin 2021

Le choix de cette thématique s’est fait pour plusieurs raisons.

1. Parce qu’en tant qu’intermédiaire du pro bono, les compétences sont au cœur de notre métier. Nous-même association, nous mettons en lien des associations qui ont des besoins en compétences que nous diagnostiquons avec des citoyen.nes (collaborateur.rices, étudiant.es, personnes en recherche d’emploi….) qui souhaitent partager leurs compétences. La compétence est au cœur de tout partage de compétences #probono (bénévolat/mécénat de compétences) !

2. Parce que le pro bono est une pratique idéale pour préparer les compétences de demain ;

3. Dans la continuité du travail de certain.es membres du Club l’an dernier sur les indicateurs liés au pro bono ;

4. Enfin, parce que pour renforcer l’employabilité grâce au pro bono, l’une des thématiques du Club en 2021, il faut pouvoir donner des manières concrètes de valoriser ces expériences pro bono.

Comme toujours au sein du Club, notre volonté est de rassembler des profils divers pour les faire intéragir, confronter les points de vue et enrichir les visions et pratiques de chacun.e sur le pro bono. Sur ce sujet, 4 témoins de choix !

-Diane Emdin, responsable de Vivendi Create Joy,

-Bérénice Mey, responsable du développement / des partenariats à Jobready,

-Jacqueline Rageot, consultante en développement professionnel à l’APEC et,

-Marie-Paule Beaumal, passerelle bénévole à Passerelles & Compétences et membre du Conseil d’Administration.

Au commencement de nos échanges, la proposition d’une définition, celle de la compétence ! La compétence peut être définie comme ce qu’une personne maitrise, mêlant à la fois connaissances théoriques (savoir), connaissances pratiques (savoir-faire) et savoir-être (soft skills). Une autre définition renvoie à la capacité reconnue et validée à agir en sachant mobiliser et combiner différentes ressources pour répondre à une situation donnée.

L’identification des compétences, de quoi parle-t-on ?

L’ensemble des intervenantes ont insisté sur le fait que l’identification de la compétence part de l’expérience et que les compétences se développent par l’expérience. Différents outils aident à traduire les expériences de chacun.e en compétence - mais encore faut-il qu’ils soient connus des principaux.les intéressé.es, celleux qui partagent leurs compétences. Citons par exemple les open badges (dispositif numérique confirmant l’acquisition de connaissances ou de compétences) qu’utilise Jobready ou la méthode SCORE que nous a soufflée l’APEC. Appliquer cette dernière à ses réalisations revient à expliciter la Situation (contexte : où, quand, avec qui, rôle, objectifs, enjeux et difficultés particulières, moyens, etc.), le Contenu (principales actions que j’ai réalisé pour atteindre mes objectifs et résoudre les difficultés – utilisez le JE), les Outils (ceux utilisés dans la mise en œuvre de ces actions), les Résultats (principaux résultats obtenus quantitatifs et qualitatifs) et l’Evaluation (ce que je retire de cette expérience en termes de savoir-faire et connaissances développées, les sources de satisfaction et en particulier vos qualités qui vous ont permis de réussir).

A l’attention des cadres et jeunes diplômé.es d’études supérieures, l’APEC propose pour formaliser leurs compétences des entretiens individuels, des ateliers collectifs pour réaliser le diagnostic de leurs compétences clé par exemple, la prise en main d’outils comme l’outil SCORE explicité ci-dessus ou la fusée des compétences, qui, elle, aide à hiérarchiser différentes compétences (« compétences » obsolètes, compétences mises en œuvre dans des activités extraprofessionnelles, compétences validées non mises en œuvre dans l’emploi actuel, compétences détenues et validées mises en œuvre dans l’emploi actuel, « compétences » potentielles, compétences préférées).

C’est sur la base du référentiel Elene4work, référentiel européen ouvert issu de travaux académiques, que s’est basé Jobready. Jobready est un programme d’Article 1 destiné aux 16-30 ans pour les aider à identifier, valoriser et développer leurs soft skills sous la forme d’une plateforme numérique et d’ateliers en présence (interventions dans des lycées, missions locales, etc.). Partant du constat que ces « compétences douces » représentent le second critère de recrutement dans l’évaluation des candidat.es à l’emploi, Jobready cherche à développer l’employabilité de ces jeunes. Ce référentiel a été retravaillé pendant cinq ans aux côtés de sociologues et développeur.euses. Aujourd’hui 50 compétences organisées en 11 familles constituent la cartographie des compétences soft skills mobilisées dans chaque expérience de vie des jeunes. L’identification des compétences des 16-30 ans passe par trois étapes. 1/ le renseignement d’un questionnaire, système d’autoévaluation d’une maitrise d’un soft skill via une expérience 2/ l’envoi à une personne témoin et à un.e référent.e de cette expérience pour validation 3/ l’obtention d’un open-badge de différents niveaux (expert, confirmé, débutant). Actuellement 30% des expériences entrées par les jeunes utilisateur.rices de l’outil sont en lien avec l’engagement bénévole.

Comptant 23 antennes, Passerelles & Compétences agit depuis 19 ans afin de valoriser le bénévolat de compétences. Intermédiaire comme Pro Bono Lab, iels n’agissent pas en lien direct avec les bénéficiaires mais avec des associations de solidarité. Les compétences de leurs 6000 bénévoles sont identifiées au cours d’un entretien individuel faisant suite au renseignement d’une grille où sont indiquées compétences métiers, soft-skills et autres talents, et la demande d’un CV.

Côté engagement des collaborateur.rices, plusieurs modalités d’engagement existent dans le groupe Vivendi via son programme international international Vivendi Create Joy. En France, cela se manifeste notamment par le p.marrainage de jeunes mais aussi l’accès à des missions via une plateforme d’engagement où seules les associations partenaires peuvent publiées des missions. L’an dernier, la responsable du programme s’est lancée dans un ambitieux défi, celui de cartographier les compétences internes via un questionnaire (envies d’engagement, quelles compétences iels ont, les compétences qu’iels aimeraient développer). Les métiers et les compétences des collaborateur.rices du Groupe recouvrant des secteurs créatifs très larges (journalisme, culture, musique, cinéma, jeux vidéo, cinéma, publicité, etc.) aux profils divers et où des titres de postes similaires ne renferment pas forcément les mêmes compétences, elle souhaitait analyser les tendances et identifier un réservoir de personnes prêtes à partager leurs compétences. Pour plusieurs raisons, ce projet de cartographie n’a pas eu le résultat escompté et c’est désormais avec l’appui des forces RH du groupe qu’elle souhaite compter pour faciliter le déclic de l’engagement en interne !

La valorisation des compétences, une question de contextualisation et de confiance en soi

Valoriser ses compétences, c’est savoir les contextualiser, et les incarner. Derrière chaque expérience de vie, qu’elle soit rémunératrice ou non, se niche des missions concrètes dans lesquelles on a mis en œuvre ses compétences et/ou appris de nouvelles. Or à l’APEC ou Jobready, il est encore très commun que certaines personnes en recherche d’emploi accompagnées disent « n’avoir rien fait » en ayant été membre d’une association ou avoir aidé des proches dans leurs tâches administratives. Iels ont tendance à considérer que les expériences non payées, que les jobs étudiants, ne comptent pas vraiment...La valorisation est donc aussi une question de narration, du choix des mots qu’on y adosse, d’adaptation d’un discours pour se raconter à un moment t et de confiance en soi. Force est de constater que pour cela, nous sommes loin d’être égaux/égales.

Avec son programme Passerelles pour l’emploi en partenariat avec Pôle Emploi Ile-de-France, Passerelles & Compétences entend valoriser les opérations de bénévolat réalisées par des demandeur.euses d’emploi de tout type de profil (cadre ou non). C’est un plaidoyer de terrain pour le bénévolat de compétences et sa plus-value. Des conférences ont eu lieu pour sensibiliser les agent.es de Pôle Emploi, pour les sensibiliser à l’intérêt du bénévolat pendant une recherche d’emploi. L’objectif ? En faire des prescripteur.rices quand l’expérience bénévole peut s’avérer opportune pour les personnes qui recherchent un emploi : sortir de son isolement, montrer qu’on peut continuer à utiliser et développer ses compétences... Des ateliers de sensibilisation ont également été organisés dans des structures d’insertion par l’activité économique pour les sensibiliser à ce type de partage de compétences. A savoir que dans Passerelles pour l’emploi, une logique inversée de « matching » se met en place entre le besoin non pourvu de l’association à accompagner et le.a bénévole puisque c’est en fonction des compétences des personnes en recherche d’emploi qu’une mission a lieu. Une expérimentation est aussi en cours en Nouvelle-Aquitaine.

L’engagement par les compétences, un outil pour les demandeur.euses d’emploi ? C’est quelque chose que nous partageons chez Pro Bono Lab (cf la proposition 4 de notre Manifeste pour le développement du pro bono). En 2020, 104 demandeur.euses d’emploi ont participé à nos Marathons. Lauréate, l’antenne Méditerranée du Lab opère actuellement la 3ème vague du PIC 100% INCLUSION pour la Maison de l’Emploi à Marseille. Durant les trois années du dispositif, 170 personnes vont pouvoir bénéficier d’un parcours sur leurs temps dit « off » alliant des temps de détection, mobilisation et valorisation de leurs compétences dites "invisibles". Notre objectif est que chaque personne accompagnée développe ou prenne conscience de nouvelles compétences, son réseau et reprenne confiance en elle en s’engageant, par le partage de compétences, en pro bono.

L’auto-évaluation, un passage obligé

Malgré le scepticisme de certain.es, identifier et valoriser ses compétences passent nécessairement par de l’auto-évaluation. C’est une étape essentielle du processus de réflexivité, prise de recul et estime de soi. Si l’auto-évaluation n’équivaut pas à une certification, à Jobready cette étape permet aux utilisateur.rices de prendre confiance en eux.elles, de voir leur marge de progression entre différents niveaux d’acquisition d’une compétence (débutant, confirmé, maitrise). Au départ, iels ont tendance à se dévaloriser mais une fois le questionnaire de la plateforme devant les yeux, iels reprennent confiance et prennent conscience de ce qu’iels savent faire.

Valoriser passe aussi par la reconnaissance. Aujourd’hui, 33 grandes entreprises sont signataires du manifeste « Les soft skills, nouvelle frontière de l’égalité des chances » de Jobready parmi lesquelles Adecco, Accenture, Capgemini, Cdiscount, Engie, la RATP ou encore Biocoop. Il existe un fossé entre d’une part la prépondérance des soft-skills dans les recrutements dans un contexte de transformation du marché du travail et d’un enjeu marqué d’employabilité tout au long de la vie et d’autre part leur méconnaissance par l’immense majorité des jeunes. Cela explique peut-être partiellement l’excellent taux de satisfaction chez les utilisateur.rices de Jobready, justement car les open-badges aident à objectiver une compétence. Former les managers à une meilleure prise en compte des soft skills est fondamental.

Un référentiel commun en open source ?

En 2019 déjà, la proposition d’un référentiel commun des compétences requises et développées lors d’expériences pro bono était émise dans le Manifeste pour le développement du pro bono en France et dans le monde. J’ai reposé la question aux 4 intervenantes ainsi qu’aux participant.es afin de les sonder sur la question.

Ce que je retiens particulièrement :

- S’interroger sur la finalité d’un tel référentiel : pour les associations ? pour les citoyen.nes bénévoles ? pour les entreprises ?

- Un référentiel mêlant à la fois soft-skills et compétences métiers permettrait aux associations et aux bénévoles de savoir pour les premières de quelles compétences elles ont besoin et sont susceptibles de développer au cours d’une mission et pour les second.es d’identifier plus facilement les compétences qu’iels possèdent et aimeraient développer. Car bien que les entreprises aient confiance dans les compétences de leurs salarié.es, les associations, elles, ne savent pas forcément quel type de compétence elles vont pouvoir développer en bénéficiant d’une mission pro bono lorsqu’elles ne font pas appel à un intermédiaire. Un tel référentiel serait donc fort utile pour les bénévoles/mécènes en compétences ;

- Faire un état des lieux de ce qui existe déjà en matière de référentiels de compétences, l’une des participantes ayant proposé par exemple un passeport de compétences qui nous accompagnerait tout au long de la vie, …passeport qui existe déjà mais qui visiblement n’est pas assez connu !

-D’autres préféreraient capitaliser sur les référentiels métiers existants et autres VAE (validation d’acquis d’expériences) déjà existants en se concentrant donc sur un référentiel exclusivement dédié aux soft skills;

- Se ranger derrière ce qui marche déjà (« la force du volume ») en s’y ralliant et l’adaptant le cas échéant : un Jobready au-delà des 16-30 ans ?

- La nécessité de co-porter un tel outil par des acteurs spécialisés dans chaque type de public (Pôle Emploi, APEC, entreprises, associations, écoles et universités), avec en chef de file la force publique représen du Ministère du Travail afin de lui apporter de la valeur ;

- Gros effort à faire auprès des managers sur la reconnaissance et gestion des soft skills ;

- Côté entreprises, profiter de l’entretien annuel pour sonder les collaborateur.rices sur leurs « compétences douces » et envies d’engagement ;

- Certains intermédiaires du pro bono à l’instar de Pro Bono Lab indiquent d’ores et déjà les compétences « dures » à avoir sur leurs fiches missions : le moment serait-il venu de faire aussi la place belle aux soft skills ?

Un grand merci particulier à Diane Emdin (Vivendi Create Joy), Bertrand Chédé et Bérénice Mey (Jobready), Jacqueline Rageot (APEC), Marie-Paule Beaumal (Passerelles & Compétences), Marie Bonnaffe (Chanel), Julie Montfraix (Fondation Nexity), Mélina Sahli (Fondation Valorem), Évelyne Déjoué (Axa Atout Cœur), Richard Fuehrer (Passerelles & Compétences).


👉Pour en savoir + sur les open badges :

- Qu’est-ce qu’un open badge ? Académie de Versailles

- Open badges, une initiative pour la reconnaissance des compétences, Université confédérale Léonard de Vinci

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